jeudi 20 janvier 2011

How I became Tunisian

Je me rappelle, il y a quelques années, que j'avais écrit une note où je déplorais mon espèce de crise identitaire, mon sentiment de non-appartenance.. (bél amara :) intitulée "des racines & un poulpe")
J'étais encore en plein dedans en sortant de ma fameuse grotte début décembre. Je n'avais aucune idée de ce qui se passait en Tunisie. Je reprenais un peu le contact, j'essayais de retrouver mes repères quand je suis tombée tout à fait par hasard sur cette actualité dérangeante, qui parlait d'un suicidé par immolation après avoir subi l'injustice implacable & cruelle du système. 
Acerbe & blasée, j'ai serré les dents en pronostiquant que le gouvernement n'en prendra guère compte, & que les suicides s'enchaîneront sans qu'un responsable daigne réagir. C'était pour moi un fait divers de plus pour me prouver que tout ce monde est con, que tout est noir, que l'on est foutu, etc.

Au fur & à mesure que je suivais "l'affaire", que les manifestations & les rebellions éclataient un peu partout, que je lisais les quelques personnes ouvertement hostiles au pouvoir en place, je sentais une colère sourde gronder, que je n'arrivais pas à définir.
C'est vrai, pourquoi je devrai être en colère? 
Comme on me le faisait abruptement remarquer l'autre jour, je n'ai a priori pas de quoi me plaindre. Je suis issue de la classe moyenne "chanceuse", d'une petite ville côtière "sans problème" (ou presque), je n'ai pas de pratique religieuse à défendre. J'ai profité des "acquis" du système en matière d'éducation & des droits de la femme, la police est là pour me protéger, et tant que je fais le bon toutou qui ne fourre pas son nez dans la politique comme on lui a appris, tout ira bien pour moi.

Sauf que la police a rarement été là pour me protéger. Notre police rendait mal à l'aise. Les abus policiers se faisaient de plus en plus fréquents, & à chaque fois que j'y avais affaire, je me sentais automatiquement agressée, bafouée, contrainte au silence.

J'ai peut-être profité des "plus" du système d'éducation, mais j'ai été préservée des "moins", de ces premières places accordées d'office au fils d'untel aux dépends de la fille de personne, à ces occasions auxquelles on ne pourrait jamais accéder sans jurer allégeance au parti au pouvoir, le fameux RCD. 
Ne parlons pas du principe même du système éducatif basé sur l'apprentissage bête, ou encore le raisonnement dirigé. Ne créons pas de libres penseurs, ne fâchons pas le monde.

J'ai peut-être joui d'une certaine liberté en tant que femme, mais quand je vois mon amie rentrer en pleurant parce qu'on lui a arraché son foulard de force & qu'on l'a traînée comme une criminelle au poste pour signer des papiers qui la cataloguent, je me pose des questions sur le concept.

Je ne m'intéressais peut-être pas à la politique mais j'en avais marre de devoir mesurer mes propos, de devoir me tourner ailleurs parce que nos médias s'obstinaient dans leur rôle de tout va bien dans le meilleur des monde, Ben Ali est le meilleur & nous sommes un peuple heureux, tellement heureux qu'il passe son temps à parler foot & à écouter de la bonne zik' semblable à un kafteji frit dans de l'huile de "léyya" super concentrée. Il n'y a rien à débattre, rien à signaler, l'on apprend pour nous, l'on décide pour nous, don't worry, don't think! gobe & ferme-la!

Je crois que je me suis surprise à atteindre ma propre limite de saturation de gobage intensif en voulant voir la réaction "officielle" face à ce qui s'est passé. La présentatrice télé avait un air méprisant & dédaigneux en annonçant à ce satané peuple ignorant, que les forces de police avaient tué deux personnes en légitime défense (pierre ciseaux, les armes à feu l'emporte). Le président, mécontent de ses fils irresponsables, proférait des menaces, & lançait le fameux "bikolli 7azm", en nous reprochant de lui faire honte devant les touristes. Aza77i! Pour qui tu NOUS prends!!

C'est alors que survint la transformation pokémon du toutou docile en clebs grognant. Parce que ce qui touche mes compatriotes me touche finalement, parce que ça aurait pu être mon ami, mon voisin, mon cousin. Parce que la main qui s'est impunément levée sur lui, peut faire de même pour moi aussi.
Parce qu'il était temps de me lever & de dire: non, je ne veux plus d'une mascarade qui nous gouverne. Je ne me tairai plus en espérant que le mal s'en ira tout seul, ou qu'on le chassera à ma place.

Paix à ton âme, Bouazizi, paix à toutes les victimes de ce système & de cette peur, & honte à moi, honte à ma lâcheté...

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